Impact de la dépression du parent sur la relation à son enfant : la régulation affective en termes d’états du moi
a) Transactions psychobiologiquement ajustées : l’approche de Dominique Vaquié-Qwazza
L’Identification Projective décrite en 1946 par Mélanie Klein constitue la première interaction entre le nourrisson et sa mère ; elle est le mécanisme conditionnant la régulation affective.
Une des défaillances de la mère dépressive pourrait être l’impossibilité d’utiliser ce mécanisme en refusant inconsciemment d’être le dépositaire des sentiments du nourrisson par exemple.
Nous pouvons comprendre cette défaillance en étudiant comment elle impacte l’interactivité des états du moi dans les transactions mère-nourrisson.
Dans son article « Penser la régulation affective en termes d’Etats du Moi » (AAT 137, pages 33 à 46), Dominique Vaquié-Quazza propose un éclairage des interactions précoces, en termes d’état du moi.
La régulation affective telle que nous la propose l’autrice, en tant que communication précoce, consiste en des transactions créant un lien d’attachement sécure entre la mère et son bébé, lui permettant de trouver en lui les ressources pour réguler ses émotions négatives.
En rappelant l’hypothèse d’Allan Schore qu’il existe des « transactions affectives psychobiologiquement ajustées », l’autrice propose un diagramme des états du moi correspondant à cette idée de l’ajustement, en deux phases.
Nous rapprochons dans notre description ci-après les cycles de l’identification projective des étapes du processus décrites par D. Vaquié-Quazza.
Figure 1 - L’identification projective s’opère pendant les étapes 1 à 4
Projection-introjection : les affects négatifs passent de l’état du moi E du bébé dans l’état du moi E de la mère (étape 1).
Détoxication : l’état du moi A de la mère décode alors les besoins du E maternel et du E du bébé (étape 2) ; à partir de son A1 et de son A2, la mère élabore un sens et cherche des options de remédiation.
L’état du moi A de la mère active son état du moi P dans son rôle nourricier (étape 3).
L’état du moi P de la mère rassure son propre état du moi E (étape 4a)
Rétroinjection : l’état du moi P de la mère rassure l’état du moi E du bébé et répond à ses besoins physio-affectifs (étape 4b)
Figure 2
La rétroinjection de sentiments bons ou tolérables dans l’état du moi E du bébé font naître chez lui la conscience de l’existence d’un sens (lien) entre ce qu’il ressent et ce qui lui arrive de l’extérieur (étape 1) : ainsi se construit le A1.
Comme chez la mère, le A1 active un P1 qui va autoréguler les émotions fortes et les stimuli biologiques (étape 2).
Enfin, l’état du moi P du bébé rassure son propre état du moi E (étape 3).
Dominique Vaquié-Quazza illustre ainsi ce que nous pouvons considérer comme une transaction saine ou attendue lorsque la mère est suffisamment bonne au sens de Winnicott (1).
Nous en déduisons qu’une insuffisance viendrait impacter certaines ou toutes les étapes de la 1ère phase :
Aux étapes 1 et 2, la mère ne décoderait pas les besoins de l’état du moi E de son bébé. Si l’on prend l’exemple d’une mère dépressive avec des symptômes d’asthénie, elle pourrait ressentir une forme d’alerte par son A1 mais ne pas avoir suffisamment d’énergie pour chercher du sens aux pleurs et encore moins des options pour y remédier avec son A2.
De même, la mère en dépression, dans son besoin de prise en charge de son état du moi E, ne pourrait pas à l’étape 3 activer son état du moi P nourricier. D. Vaquié-Quazza souligne d’ailleurs que ce travail n’est possible que « si la mère possède un état du moi P qui puisse réguler l’affolement de son état du moi E. Sinon, c’est le processus inverse d’escalade ‘affects négatifs qui risque de se produire : le bébé pleure et crie et la mère se met à hurler ou pire s’en va ».
Enfin, la défaillance du processus d’autorégulation des affects étant caractéristique de la pathologie dépressive, l’étape 4 n’est pas non plus imaginable dans la transaction entre une mère dépressive et son bébé.
C’est l’ensemble de ces défaillances du processus que nous avons au début de ce chapitre évoqué comme un refus (inconscient) de la mère d’être la dépositaire des sentiments du nourrisson.
Notons que l’on entrevoit là les phénomènes de désactivation de certains états du moi et les relations symbiotiques en résultant. Nous revenons sur cette notion dans notre partie 2 b ii.
Dans ce chapitre, nous avons tenté de traduire en termes d’analyse transactionnelle, les conséquences de la défaillance d’une mère dépressive, insuffisamment bonne (au sens que l’a décrit Winnicott) sur le processus d’identification projective garant de la régulation affective.
Nous nous interrogeons à présent sur la vision de Helena Hargaden et Charlotte Sills dans leur livre « Une perspective relationnelle », de l’impact de la relation mère-enfant dans la création du soi.
Rappelons ci-après les définitions de Stern auxquelles font référence les autrices :
Le soi se développe à partir de deux strates initiales : le soi émergent et le soi noyau.
Soi émergent : les expériences de la personne ne donnent lieu qu’à un sens de Soi instable et fugace qui a besoin pour se constituer et se renforcer la présence active de « l’Autre régulateur de Soi » (pour le nourrisson, en général la mère).
Soi noyau : se superpose très tôt à celle du Soi émergent ; la personne se pose comme en relation avec l’Autre et comme distincte de lui.
H.Hargaden et C.Sills développent la théorie suivante :
Le E0 est le SOI EMERGENT ; il constitue le siège des besoins relationnels.
L’expérience de l’interaction avec un autre régulateur de soi forme le A0, qui est le SENS DE SOI. Elle procure un sentiment de soi OK chez l’enfant. Le rôle de la mère en tant que régulateur est de faire que l’enfant continue de se sentir OK.
L’enfant développe des représentations intériorisées de lui et de sa mère (E0/P0) pour soutenir le développement d’un soi noyau sain.
Sinon, il se coupe des expériences « non digérées » : le A0 reste incomplet et non intégré. Les expériences « clivées » restent dans le E0 ou constituent le P1.
A1+ est la représentation de soi « je suis OK pourvu que je sois ….. »
A1- est la représentation de soi « je ne suis pas OK » (tomber en disgrâce).
Si le A1 est bien intégré (besoins satisfaits et sentiment de soi OK E1) il n’y a pas de dissonance entre le soi adapté et le soi noyau. La Honte est en A1, la honte archaïque en E1 mais les signes positifs compensent.
Si le A1 est mal intégré, il y a un cramponnage à l’image de soi positive en A1+ et un rejet du vécu difficile et récusé du E1. Il y a alors une possible surévaluation de soi ou une humilité excessive allant de pair avec la toute puissance A1+
Les sentiments non traités (ex. anxiété non apaisée par l’environnement) sont refoulés en P1.
Le P1- peut contenir des injonctions (n’existe pas) comme des réactions hostiles au parent maltraitant.
Le P1+ peut contenir une image construite et idéalisée de l’autre.
Helena Hargaden et Charlotte Sills voient la relation première suffisamment bonne comme « menant à une résolution des besoins archaïques de E0 et à leur transformation en besoins relationnels ordinaires, dans l’ici et maintenant, besoins qui sont intégrés dans l’état du moi Adulte ».
Comme nous avons procédé avec Dominique Vaquié-Quazza, nous nous interrogeons sur le ou les impacts d’une défaillance parentale, ici une mère dépressive « insuffisamment bonne », sur le processus de construction du soi.
Il nous apparait intéressant de considérer la mère insuffisamment bonne au sens bernien d’une mère qui ne comblerait pas les trois soifs de structure, de reconnaissance et de stimulation.
Ainsi, en nous appuyant sur la théorie développée par Hargaden et Sills, nous proposons ci-après une hypothèse de l’impact des soifs non comblées sur le développement du soi.
Nous voyons ici les conséquences négatives du manque de signes de reconnaissance ou de stimulation sur le développement de l’enfant, notamment :
Nous voyons ici les conséquences négatives du manque de signes de reconnaissance ou de stimulation sur le développement de l’enfant, notamment :
c) Symbioses de 1er et 2nd ordre selon le modèle des Schiff
Nous revenons à présent sur l’illustration de la transaction mère-enfant par les états du moi.
Si Dominique Vaquié-Quazza postule au travers de ses schémas (Cf. III 2 a) que tous les états du moi, de la mère comme du bébé sont actifs, et qu’il n’y aurait aucun état du moi soustrait du fonctionnement, les Schiff proposent la symbiose de premier et second ordre comme système mis en place dans la relation mère-enfant.
Ainsi, dans la symbiose de premier ordre qualifiée de saine par les Schiff, les états du moi Parent et Adulte de la mère se substituent à ceux, encore inexistants, de l’enfant ; ce dernier apprend à s’occuper ensuite de ses besoins et sort de la symbiose en grandissant.
La symbiose de second ordre s’apparente à la symbiose de premier ordre en ce sens que les états du moi Parent et Adulte de la mère prenne, en apparence, en charge l’état du moi Enfant de son enfant.
Néanmoins, une autre symbiose s’opère dans les états du moi Enfant de chacun, où l’enfant prend soin du E1 de sa mère à partir de ses propres états du moi P1 et A1. De ce fait, l’enfant permet à sa mère de ne pas ressentir les besoin de son état du moi Enfant.
Le schéma ci-après illustre la symbiose de second ordre.
Ce type de symbiose peut se mettre en place lorsque, par exemple, la mère dépressive demande inconsciemment l’empathie de son enfant. Alors, au travers d’injonctions telles que « N’existe pas », « N’aie pas de besoins » ou « Ne ressens pas », elle indique à son enfant qu’elle ne peut pas / ne veut pas s’occuper de lui, qu’elle est trop fatiguée pour cela.
L’enfant, qui intègre dans son P1 « je prends trop de place », « j’ai trop de besoins », ignore ses besoins dans son E1 et comble les besoins du E1 de sa mère.
Dans son article « Le point sur la symbiose de 2ème ordre », A.A.T. n°138 p.64 à 66, France Brécard donne ainsi l’exemple du bébé qui, à un niveau précoce, apprend très vite à ne pas pleurer pour ne pas déranger une mère dépressive. Dans ce cas, l’autrice indique que l’état du moi Enfant de la mère est trop fragile pour s’occuper du bébé. En apparence, la mère prend soin de son enfant, mais le bébé sait au fond de lui comment prendre en charge les besoins de sa mère.
France Brécard donne également l’exemple de cette jeune femme adulte qui revient régulièrement vivre chez sa mère car elle ne paye pas ses dettes : « en apparence incapable de se débrouiller seule, elle prend en charge de cette façon le E1 de sa mère qui se sent perdu et abandonné et ne supporte pas la sollitude ».
Sortir de ce type de symbiose demande au préalable une prise de conscience et un traitement psychothérapeutique de redécision.
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